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Commode à ressaut.

Commode à ressaut.

Rapport de restauration d’une commode à ressaut d’époque Transition

Avant de commencer déterminons son style.

Le style appelé Transition débute vers 1755 pour se terminer autour de 1770. Comme son nom l’indique, cette période se caractérise par une transition entre le style rocaille et un style nouveau, inspiré de l’antique, que l’on nommera Louis XVI. Le meuble phare de cette période, sera sans conteste, la commode à ressaut et pans coupés à l’image du meuble qui nous intéresse ici.

Voici quelques caractéristiques de ce style :

  • Le décor est inspiré par la période antique (suite à la découverte d’Herculanum et de Pompéi).
  • Plusieurs registres de décoration avec la réapparition de la traverse basse et haute.
  • Utilisation de la marqueterie de mosaïque (ici un jeu de fond).
  • Les poignées de tirages sont souvent des anneaux.
  • Caisse droite et pieds galbés.

Lecture du meuble avant la restauration

Cette étude en profondeur du meuble s’est révélée ardue car plusieurs éléments contradictoires en ressortent. En voici d’abord la liste, nous essayerons ensuite d’en tirer certaines conclusions :

Mesures décimales : La taille du bâti semble tomber juste en cm (L : 125, P : 60, HT : 88 cm). L’utilisation du centimètre n’a pu réellement être imposée qu’à partir de 1851.

Traces des anciennes serrures : Les Traces d’anciennes entailles pour les serrures des tiroirs nous révèlent qu’elles ont dû être changées au cours d’une restauration (voir photo ci-dessous).

 

entaille-serrures

On peut apercevoir deux générations d’entailles de serrures

 

Les bronzes : Les bronzes semblent coulés au sable puisque l’on peut deviner des traces d’évents. L’examen à la loupe du travail du « matis » (parties mates) révèle un travail irrégulier réalisé à la pointe, travail très caractéristique du XVIIIe siècle. D’autre part, ce bronze est très cassant par sa forte teneur en étain typique du XVIIIe siècle. Les bronzes ne sont pas les mêmes que ce posés à l’origine puisque nous pouvons apercevoir d’anciens trous de fixations différents de ceux utilisés actuellement.

 

La même rainure énigmatique sur les 2 pieds arrières : On peut trouver une rainure sur chaque pied arrière qui ne sert à rien (voir photo ci-dessous). Situées au dessus d’une enture, sont elles la signature d’une réutilisation de ces deux pieds en hêtre ?

 

 

Le plancher (situé sous le marbre) : Les assemblages sont en queue d’aronde à l’avant et tenon et barbette à l’arrière conformément à l’époque (voir ci-dessous).

 

queue_aronde_plancher_de_commode

Il est à noter que certains panneaux ont été refaits car nous pouvons voir des traces de scie circulaire.

Les tiroirs : La technique de fabrication est du 3ème tiers du XVIIIe siècle : 3 queues d’arondes seulement pour fixer les cotés, fonds fixés en feuillure, plaquettes collées sur les queues d’arondes et faisant office d’arrêt du tiroir et enfin les cotés et l’arrière sont de la même hauteur. La finesse de l’épaisseur des cotés ressemble à un travail parisien.

Les placages et les traces de rabots à dents : Lors de la dépose d’une partie du placage sur les tiroirs, nous nous sommes aperçus de l’existence de 2 sortes de placage : un d’origine, datant du milieu du XVIIIe siècle avec environ 11 traces de denture pour 2cm et l’autre, en placage tranché utilisé lors d’une restauration. Sur le bâti des tiroirs, les traces sont celles d’un rabot à 18 dentures (voir photo ci-dessous).

 

traces-de-rabot-a-dents

On peut dénombrer 18 traces de rabots par 2cm

 

 

Les fonds de propreté : Les panneaux sont embrevés dans une rainure creusée dans les traverses avec une mise au mollet au rabot. Cela confirme une technique utilisée de la fin du XVIIIe siècle.

 

Les bois utilisés pour le bâti et les tiroirs : Les tiroirs sont en hêtre pour les cotés, le devant et l’arrière. Le fond est en noyer. Le ressaut est créé par une épaisseur supplémentaire de sapin . Les pieds avant sont en noyer et les pieds arrière sont en hêtre. Concernant l’utilisation du hêtre en ébénisterie, selon Jacqueline Viaux, auteur d’un livre de référence sur l’utilisation des bois dans le mobilier français, ce bois ne fut que très rarement utilisé dans les meubles d’ébénisterie à contrario des sièges. Les tiroirs peuvent parfois avoir les cotés en hêtre dans l’est de la France. D’autre part, selon Marcel Curtat, dans « antiquités vraies et imitées » le hêtre ne fut utilisé principalement qu’en Franche-Comté pour les montants. Il précise surtout que l’on ne plaque pas sur du noyer au XVIIIe siècle. Nous rappelons que nos pieds avant sont en noyer plaqués.

 

Conclusion sur la lecture : Sur les 9 points que nous venons d’analyser, nous remarquons que certains points comme l’utilisation du système métrique ainsi que l’utilisation du hêtre et du noyer pourraient nous faire conclure à une fabrication postérieure à 1850 . L’utilisation du rabot à dents de 18 dentures et les techniques de fabrication nous ramènent aussi à une fabrication XIXe,. Par contre la structure des tiroirs, les assemblages du plancher sont conforment au XVIIIe siècle tout comme les traces de râpes et de rabot à 11 dents sous le meuble (voir ci-dessous).

Ce meuble est-il d’une conception tardive de son époque ? En effet, selon la théorie de Guillaume Janneau, un style peut continuer à perdurer bien au delà de sa période « officielle » surtout dans les centres économiques de taille moyenne en province. Ce meuble a t-il supporté des réparations très importantes avec des remplacements complets d’éléments, ou bien a t-il été sciemment transformé dans le but de tromper sur son époque ? Un expert auprès des tribunaux pourrait trancher.

Constat d’état.

 

La commode nous est parvenue à l’atelier dans un état de fatigue avancée : Les coulisseaux de tiroirs sont à rehausser. Les cotés de tiroirs sont usés à force des frottements répétitifs contre les coulisses (voir ci-dessous).

 

usure_sur_cote_tiroir

Les fonds des tiroirs sont à aléser suite au retrait du bois. On peut déplorer de nombreuses cloches et lacunes sur le placage. Des lacunes de buis et d’ébène sont aussi présentes sur le décor géométrique des chants de tiroirs. L’état de finition de la commode mérite une reprise complète en partant d’un dégagement de surface jusqu’au vernis gomme laque au tampon.

Restauration du placage.

 

Nous avons recollé les nombreuses cloches de placage, tant sur les cotés que sur le devant et les façades de tiroirs. Nous avons décidé de laisser les anciennes restaurations de placage dans un souci de préserver l’historique du meuble. Après le dégagement de surface, nous avons pu constater cependant l’utilisation de noyer à la place du palissandre Santos, ce qui aurait mérité un remplacement dans certains cas. Nous avons pratiqué quelques greffes de palissandre, de satiné rubané sur le frisage du côté et des façades de tiroirs.

 

greffe-de-placage-de-satine-ruban

Deux petites greffes de buis teinté en verdet avec du sulfate de cuivre chaud ont été effectuées sur les fleurettes du jeu de fond.

Restauration du coulissage et des tiroirs.

 

Un lourd travail sur les coulisseaux a été réalisé pour les surélever. Afin de limiter la prochaine usure, nous avons rajouté une baguette de bois dur (chêne) collé sur le fond de propreté (voir ci-contre). Les cotés de tiroirs ont dû subir des greffes en hêtre. Les fonds ont été démontés et alésés en noyer ancien .

Finition

 

Cette étape commence tout d’abord par un dégagement de surface réalisé avec un produit décapant sans soude qui respecte le bois. Tout le vernis est retiré sans pour autant supprimer la patine du bois.

 

 

greffe-de-placage-de-satine-ruban

Commode après le gommage

 

 

Le gommage permet de « gommer » comme son nom l’indique les rayures et les enfoncements provoqués par les chocs mais sans poncer complètement le bois. La mise en teinte des greffes a été faite chimiquement. Le meuble n’a subi aucune teinte à l’eau dans son ensemble afin de préserver le contraste des différentes couleurs de placages utilisées dans la marqueterie de mosaïque. Le remplissage des pores effectué à la ponce terminé, un vernis gomme laque « fine orange » fut appliqué au tampon. Une goutte de benjoin a été ajoutée à l’alcool lors de l’éclaircissage.

 

 

Commode à ressaut d'époque transition