La passion des meubles et objets anciens

Commode XVIIIe

Commode XVIIIe

 

 La petite histoire d’une restauration de commode XVIIIe, d’époque Louis XVI en bois de rose.

Le style Louis XVI marque le retour à la grande tradition classique française après ce que certains nommeraient « les excès du style Rocaille ». Tous les meubles abandonnent la prédominance des courbes pour s’adapter au style à la grecque en vogue depuis la découverte des ruines d’Herculanum et Pompéi. La commode, par la simplicité de ses structures, est également un meuble représentatif du style néoclassique. Le type le plus courant est de forme rectangulaire, à l’image de la commode qui nous occupe ici. C’est dans un souci d’adoucir la rigueur géométrique des volumes que les ébénistes ont souvent flanqué la caisse rectangulaire de cannelures verticales qui se prolongent par des pied fuselés ou en gaines.

Voici quelques caractéristiques du style Louis XVI : L’ornementation se confirme vers un retour à l’antique avec des décors complètement géométriques qui restent sobres. Les décors en raies de cœur, oves, grecques, perles et denticules sont à l’honneur. Les poignées de tirages sont souvent des anneaux ou des poignées de tirages de formes carrées. L’acajou commence a être souvent utilisé en placage.

 

 

Commode louis XVI et son décor

Lecture du meuble: les éléments de datations.

 

Cette étude en profondeur du meuble s’est révélée ardue car plusieurs éléments contradictoires en ressortent. En voici d’abord la liste, nous essayerons ensuite d’en tirer certaines conclusions :

Mesures décimales :

La taille du bâti ne semble pas tomber juste en cm :
- L : 75,5 cm ou 2 pieds, 4 pouce et 1ligne
- P : 44,8 cm ou 1 pied, 5 pouces et une ligne
- HT : 65,4 cm ou 2 pieds et 2 lignes . Relevé de la taille des tiroirs :
- L : 64,7 cm ou 2 pieds
- P : 39,8 cm ou 1 pied, 2 pouces et 5 lignes

L’utilisation du centimètre n’a pu réellement être imposée qu’à partir de 1851. Les dimensions sont mentionnées ici en pied du Roy,qui ne fut pas forcement utilisé dans toutes les régions du royaume.

Le plancher (situé sous le marbre) :

Les assemblages sont à tenons et mortaises simple sans queues d’aronde ce qui nous fait penser de nouveau à une fabrication régionale dans un centre économique secondaire. Il est à noter qu’une restauration a été effectuer par la suite.

Les tiroirs :

La technique de fabrication est du XVIIIe siècle : 2 queues d’aronde seulement pour fixer les côtés ( 3 queues d’aronde sont souvent le signe d’une fabrication parisienne ou d’un grand centre économique). Les côtés et l’arrière sont de la même hauteur. L’utilisation d’un bois fruitier comme le merisier tend à confirmer une fabrication régionale.

 

queue-aronde-sur-tiroir

Les fonds de propreté :

Les panneaux sont embrevés dans une rainure creusée dans les traverses avec une mise au mollet au rabot. Cela confirme une technique utilisée de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle(voir ci-dessous).

 

 

fond-de_proprete-commode-XVIIIe

 

Traces des fixations des bronzes :

Il n’y a qu’une seule trace de fixation des bronzes (côté intérieur). Ceci démontre que des anneaux de tirages ont toujours été présents sur les tiroirs mais sans prouver que ceux présents sont d’origines car il semble d’une fabrication postérieure au XVIIIe siècle.

Les placages et les traces d’outils :

Lors de la dépose d’une partie de morceau de placage afin de pratiquer des greffes sur les lacunes, nous avons pu constater la qualité de ce dernier : c’est un placage scié d’une épaisseur de 1mm environ. La scie au bois montant a été inventée en 1799 ; elle permit aux ébénistes de leur éviter de scier débiter le placage à la main. Elle se répand en France dans la première moitié du XIXe siècle. Nous n’avons pu déterminer l’époque des traces de rabot à dent par manque de lisibilité. Des traces de rabot rond se devinent sur l’arrière du meuble.

Les bois utilisés pour le bâti et les tiroirs :

Les tiroirs sont en merisier pour les côtés et l’arrière. Les 4 pieds et montants sont en noyer les traverses sont elles aussi en noyer sauf une qui est en chêne. L’arrière est en sapin. Les panneau du plancher sont en noyer aussi. Concernant l’utilisation du noyer en ébénisterie, selon Jacqueline Viaux, auteur d’un livre de référence sur l’utilisation des bois dans le mobilier français, ce bois fut très largement utilisé dans le lyonnais (+de 50%) et se retrouve aussi dans les meubles de Savoie. Selon Curtat, dans « antiquités vraies et imitées » on ne plaque pas sur du noyer au XVIIIe siècle. Nous rappelons que nos pieds et traverses sont en noyer plaqués de bois de rose et d’amarante

Les transformations :

 

cannelures-vide-

 

 

Les filets de bois teintés en verdet sur les montants de la commode ont été rajoutés, car nous pouvons apercevoir que d’anciennes cannelures avaient été creusées sans doute pour recevoir le décor en laiton. Un apprêt en plâtre fut utilisé afin de les boucher par la suite.

Conclusion sur la lecture :

Sur les 8 points que nous venons d’analyser, nous remarquons que certains d’entre eux, comme l’utilisation d’un système non métrique ainsi que le placage scié collé sur du noyer, pourraient nous diriger vers une fabrication datant du XIXe siècle .

Ce meuble a t-il subi un embellissement tardif ? L’existence des cannelures et le placage en bois de rapport sur du noyer semblent nous mener vers cette conclusion. Il n’était pas rare de re-plaquer un meuble entier en bois exotique pour augmenter sa valeur : les antiquaires ne se sont pas privés de pratiquer ce genre « d’améliorations » alors que la main d’œuvre qualifiée restait encore très compétitive.

Constat d’état.

 

La commode nous est parvenue à l’atelier dans un bon état au niveau de sa structure, par contre le placage avait beaucoup souffert : Le placage est frisé pratiquement sur tout le meuble. Des petites lacunes sont à déplorer sur le devant.

Le gros du travail se concentrera donc sur les filets en pratiquant des greffes de massif dans les cannelures à la place du plâtre. Le collage en deviendra plus résistant dans le temps.

Un recollage des cloques à la colle chaude sera effectué suivi d’un pressing (réhydratation des colles anciennes) afin de sécuriser le collage pratiqué manuellement.

Des denticules ont disparues qu’il faudra fabriquer à l’identique. La finition du meuble a elle aussi souffert des variations dimensionnelles du placage par rapport au bâti, en conséquence, un dégagement de surface et une mise en ton des placages seront réalisés avant l’application d’un vernis.

 

Restauration du placage.

 

Réhydratation des colles anciennes par pressing à chaud.

Nous avons recollé les nombreuses cloches de placage, tant sur les côtés que sur le devant et les façades de tiroirs.

Sept pressing en tout furent réalisés afin d’atténuer le frisage du placage. Cependant l’âme en noyer et en sapin étant par certains endroits très infesté, le résultat n’est pas à 100%.

Cette technique de ré-hydratations des colles anciennes fut mise au point il y a une quinzaine d’années par un restaurateur du musée des arts décoratifs de Paris. Elle nous permet de rendre au placage tranché son aspect lisse originel.

Schématiquement, on commence par hydrater le placage pendant 1 heure avec de la colle cellulosique car les molécules de fibre de bois déshydratées sont avides d’eau : le gel humidifiant va donc transmettre lentement l’eau au bois puis à la colle ancienne.

Après avoir ôté tout le gel humidifiant, on applique sur le placage un gel de colle de poisson dilué avec de l’eau et de l’alcool en préservant un PH neutre par un ajout infime d’acide acétique.

La troisième phase consiste à serrer le tout en le chauffant à 65° pendant 15 mm grâce à une « nappe chauffante » en silicone et d’attendre le jour suivant (voir photo ci-contre). Par mesure de précaution, il est préférable de nettoyer la colle puis de remettre sous serrage encore 2 jours à froid (voir ci-dessous).

 

 

rehydration-colle-ancienne-nappe-chauffante

 

Restauration des filets.

 

Un lourd travail sur les filets teintés en verdet a été réalisé. Il fallut, tout d’abord, les décoller sans les endommager.

Ensuite, il fallut nettoyer les cannelures de l’apprêt pour ensuite creuser au ciseau à bois des rainures régulières qui peuvent recevoir des greffes de massif afin d’affleurer le bâti(voir ci-dessous).

 

Nettoyage des cannelures

Nettoyage des cannelures

 

 

Enfin, nous avons procédé au recollage des filets d’origines à la colle de poisson.

 

Finition

 

Cette étape commence tout d’abord par un dégagement de surface réalisé avec un produit décapant sans soude qui respecte le bois. Tout le vernis est retiré sans pour autant supprimer la patine du bois. Le gommage permet de « gommer » comme son nom l’indique les rayures et les enfoncements provoqués par les chocs mais sans poncer complètement le bois.

La mise en teinte des greffes a été faite chimiquement ( voir photo ci-contre). Le meuble a subi la même mise en ton que lors de son arrivée à l’atelier : bois légèrement verdit avec de l’indigo et de l’acide picrique puis application d’une teinte à l’eau au brou de noix.

 

 

frisage-avant-apres-resturation

 

Un léger remplissage des pores a été effectué à la ponce. Un vernis gomme anglais fut appliqué au tampon afin de garder un aspect satiné au meuble.

 

 

restauration d'une commode XVIIIe